lundi 2 juin 2008

Vienne : La mort en liberté

Le cimetière Biedermeier de Sankt Marx n’accueille plus de morts depuis au moins un siècle. L’éternité y coule des jours tranquilles, à peine dérangée par les rares visiteurs qui s’aventurent au milieu des tombes. La mort, ici, se vit en toute liberté.
Les allées sont entretenues par quelques jardiniers débonnaires mais les stèles abandonnées à elles-mêmes expriment l’oubli et signent d’un manière indéniable, le passage du temps. Ces alignements de pierres dressées se fondent et se confondent. Assaillies par une végétation luxuriante autant qu’envahissante, elles s’inclinent sous le poids des ans. Les inscriptions s’effacent, les regrets aussi. La rouille ronge les grilles de quelques concessions mortuaires.
Lassés d’offrir leur protection aux défunts, les anges gardiens semblent tous gagnés par un profond ennui, leurs sculptures s’effritent, les bras tombent, les visages s’altèrent et certains ont même perdu la tête.

La matinée automnale exacerbe la tonalité définitivement nostalgique du cimetière, invitation à la méditation, au souvenir mais aussi à la célébration de la vie. C’est à peine si les bruits de la ville parviennent à troubler le calme du lieu.

Au détour d’une allée, un monceau de fleurs recouvre une tombe solitaire. L’angelot qui en a la charge, semble gagné par la même morosité que ses compagnons. Sa main gauche tient un flambeau renversé. La tête posée dans la main droite, le séraphin s’abîme dans la contemplation douloureuse du modeste cénotaphe. Ci-gît Mozart.

Enterré le 6 décembre 1791, dans un dénuement total au lendemain d’une courte messe sans musique, dite à l’extérieur de la cathédrale saint Etienne, la dépouille du compositeur a été déposée dans une fosse en compagnie de quinze autres corps. Selon l’usage du moment, personne n’a suivi le cortège. Le protocole funéraire encore en vigueur n’autorisait pas non plus les signes religieux ostentatoires, pas de croix et, l’anonymat pour les nécessiteux. Quelques années plus tard, Constanze, désireuse d’honorer la mémoire de son premier mari, a souhaité lui offrir une sépulture plus honorable. Les fossoyeurs lui ont indiqué le lieu de l’inhumation mais l’employé qui avait placé le corps de Mozart, étant déjà mort, l’endroit exact restait difficile à situer. Si la tombe est vide, elle n’en offre pas moins un espace de recueillement aux admirateurs venus rendre une visite de courtoisie, un humble hommage à ce musicien de génie.

Un groupe de jeunes enfants encadré par quatre femmes se dirige vers la tombe fleurie. Ils se tiennent par la main et avec tout le sérieux de leur jeune âge, concentrent leur attention sur les commentaires de l’une des accompagnatrices, le regard fixé sur l’arrangement floral et l’angelot devant lesquels ils se sont immobilisés. Puis ils repartent en sautillant et leurs rires cristallins réjouissent l’espace. Pour eux, le futur s’arrête tout juste à la fin de la journée, alors l’éternité, pensez donc, elle peut attendre !

Novembre 2003

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