lundi 9 juin 2008

Là-bas à Marienbad

Pour arriver jusqu’à Marienka Lanze depuis Karlovy Vary, le petit tortillard vert avait courageusement grimpé à travers bois, traversant quelques villages tranquilles. La Tepla qui croisait son parcours à plusieurs reprises, se gonflait des eaux de pluies récentes et de celles de la fonte des neiges, la rivière grondait, faisait le gros dos, allant son chemin dans le tumulte avec une persévérance obstinée. Le train ralentissait à l’approche des stations. Aux passagers de lui faire signe de s’arrêter pour être embarqués à son bord. Certains arrêts se marquaient le long d’un morceau de quai miteux sur lequel se dressait tant bien que mal un abri en métal rongé par la rouille et nous cherchions vainement d’où pouvait bien venir le voyageur en attente. Quelques gares, plus pimpantes, plus fréquentées aussi, se distinguaient de celles, plus nombreuses qui exprimaient la tristesse d’un certain abandon. Vodna, Becov, Tepla, Mrazov, Milhostov, Ulkovice…

Le conducteur était bonhomme, il menait son équipage avec l’aisance que procure l’habitude. La contrôleuse, une jeune femme souriante, sortait de la cabine de pilotage dès que montaient les passagers, pour vérifier la validité de leur billet. Le train n’allait pas plus loin que Marienka Lanze avant de repartir dans l’autre sens vers Karlovy Vary, il ne connaissait que ce trajet entre les deux villes et l’effectuait plusieurs fois par jour, tout au long de l’année avec vaillance quelque soit le temps.

Marienbad cache bien son jeu pour qui arrive par le train. Les abords de la gare dissimulent habilement ses attraits par une ingénieuse banalité. Mais quelques stations de bus suffisent pour en appréhender les charmes. Aristocratique, légèrement hautaine, et sure d’elle-même, Marienka Lanze prend ses aises. Elle ouvre grand ses bras sur le paysage à l’inverse de sa rivale Karlovy Vary plus repliée sur elle-même et, n’hésite pas à se déployer paresseusement dans la vallée, osant même l’aventure par les chemins forestiers.

Une atmosphère surannée se dégage de ce décor un tantinet décadent qui évoque avec force les fastes d’antan. Contrairement à Karsbad, la coquette, les demeures n’ont pas honte d’afficher une certaine fatigue qui renforce leur personnalité. Malgré tout, rien ne semble entamer le charme de Marienbad qui se sent éternelle. Les prestigieuses personnalités qui y séjournèrent : Chopin, Goethe, Freud, Gorki, Edouard VII d’Angleterre, Dvorak, la confortent dans ce sentiment. il se raconte que c’est pour elle que Faust vendit son âme au diable.

Ce dimanche là, la ville somnolait sous un ciel bleu, fardé de légers nuages. Quelques poignées de personnes déambulaient autour de la colonnade (Lazenska Kolonada), étonnante structure métallique qu’un décor néobaroque enrichit abondamment. Quelques autres, testaient les effets bénéfiques des eaux thermales. Sur la terrasse, trois dames se pliaient au rituel de la gourmandise dominicale. Au classic café, l’ambiance feutrée, rendait le consommateur discret et les pâtisseries se dégustaient en silence. Nous avons fait de même. Puis délaissant les hôtels, gloriettes et autres bâtiments thermaux du cœur de ville, pour d'autres points de vue, la forêt nous a absorbé en douceur, un pan de neige s’accrochait désespérément à une piste dont le télésiège avait achevé sa mission saisonnière.


Les chemins débouchaient presque immanquablement sur de discrètes demeures désireuses de conserver leur anonymat qui semblaient presque toutes se refaire une beauté avant l’été. L’après midi touchait à sa fin, le soleil caressait les toits et entrait en résonnance avec la dominante jaune de la ville. Dans un pub écossais, le propriétaire louait quelques chambres, les marches de l’escalier accueillaient des cactées. A chaque pallier une commode surmontait d’un miroir était couverte d’objets divers : bougeoirs, pierres, lampes,… La décoration de la chambre pouvait surprendre, elle hésitait entre un faux style « art nouveau » et une vraie tendance rococo, assez amusante. Le soir était tombé, les rues désertées rendaient la ville à ses souvenirs, à la nostalgie qu’elle sait si bien distiller à notre insu. Alors nous revenait en mémoire la voix cristalline de Barbara « La-bas à Marienbad…. Là-bas à Marienbad »

Avril 2008

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