mercredi 30 avril 2008

Prague : Petrin plus près des étoiles

Il faisait froid, le printemps boudait encore la ville. Dans un bar où nous cherchions un peu de chaleur autour d’un café chaud, Milan, le gérant était aussi professeur de rockologie, un diplôme encadré en témoignait. Ce spécialiste de rock, fumait comme une cheminée en plein cœur de la Sibérie. La cité tchèque n’avait pas encore cédé à la déferlante anti-tabac.

A la station Ujezdé, le funiculaire conduisait au sommet de la colline Petrin en quelques minutes. Nous étions peu nombreux à sillonner le parc et un calme régnait qui accentuait la sérénité du lieu. Les courbes de la Vltava aux flancs desquels s’étirait la ville, se dessinaient paresseusement vers l’horizon. Au pied du mont, une foule dense grouillait dans Mala strana mais rien ne filtrait à cette hauteur. Nous étions au-dessus de la mêlée en quelque sorte.


Quatre apprentis jardiniers apprenaient l’art d’organiser joliment une bordure au pied d’un mur en pierre. Le chien du jardinier en chef dormait, confortablement installé sur la doublure en fourrure synthétique d’une veste posée sur le gazon. Nous sommes entrés dans un petit jardin clos où une végétation de rocailles avait été disposée en un décor qui se donnait des airs sauvages et désordonnés sans trop y parvenir. Sur un hêtre au-delà d’un grillage un écureuil roux très affairé grimpait à vive allure. Un pic vert sur son nid semblait couver tout en nous observant avec une certaine inquiétude.

Nous attendions l’ouverture de l’observatoire. Un enfant jouait à cache cache autour de la statue de Milan Rastilav Stefanik. Il n’avait cure de cette figure légendaire qui fut l’un des fondateurs de l’Etat tchécoslovaque indépendant. Cet homme au destin hors pair, pilote émérite et astronome illustre, suivit une partie de ses études à l’observatoire astronomique de Meudon. Stefanik obtint la citoyenneté française en 1912, entra dans l’armée en 1914. En 1918, il fut nommé général de l'Armée française et décoré de l'ordre de la Légion d'honneur. Cet homme engagé dans l’action politique ne rêvait que par les étoiles. Il observa les cieux depuis plusieurs pays d’Amérique latine et d’Afrique. La comète Halley et l'éclipse de soleil le conduisirent en Polynésie, en 1910. Il mourut en 1919 dans l’accident de son avion, il n’avait pas quarante ans.

La femme chargée d’accueillir les visiteurs de l’observatoire affichait un immense sourire qui s’élargit encore lorsque nous lui avons acheté une photo du héros tchèque Stefanik. Nous étions les seuls visiteurs. Une sympathique jeune femme ouvrit pour nous le grand dôme. La couverture nuageuse n’autorisait pas l’observation d’objet purement céleste. Les objectifs furent braqués sur le sommet du belvédère que les constructeurs bâtirent en s’inspirant de la tour Eiffel et nous avons observé des gens, eux-mêmes observateurs de la ville. Au second télescope, l’objet céleste dans la ligne de mire était une cheminée d’usine. Notre virée cosmique ne parvenait pas à décoller. Néanmoins, à la manipulation de ces instruments de haute précision, la magie de l’aventure stellaire opérait. L’espace d’un instant le ciel nous appartenait.

avril 2008

Polynésie : les divagations du Vaeanu


Le Vaeanu, cargo désuet affiche un âge avancé sur ses flancs rouillés. Initialement immatriculé à Hambourg, il termine ses jours en faisant du cabotage entre les îles de l’archipel de la Société. Les soutes pleines en permanence, il transporte vaillamment tout, absolument tout. Dans les ports, son arrivée donne toujours lieu à une grande animation, l’épicier attend son chargement de légumes et autres denrées, le bistrotier, ses caisses de bières, Mareva souhaite que le salon en rotin commandé il y a trois semaines à Papeete n’ait pas été abîmé au cours du voyage, Jean se languit après sa mobylette et Bernard après la 4L d’occas’, une bonne affaire qu’il a conclue à Huahine, il y a peu….

En plus de toutes ces marchandises, le Vaeanu accepte à son bord, quelques passagers. Moyen le plus économique pour se déplacer d’une île à l’autre, il est le mode de transport privilégié des Polynésiens. Délaissé par les touristes pressés, il comble de joie les rares voyageurs buissonniers, peu soucieux de leur confort et pas avare pour un sou de leur temps, par le léger parfum d’aventures que son aspect plutôt inquiétant de vieux rafiot en fin de course dégage immanquablement. Il donne l’impression d’être en permanence au bord de la dislocation et parfois, il lui arrive de perdre ses boulons et ses plaques de tôle.

Le 29 mars 2003, il y avait un trou dans la coque. L’escale de Bora Bora a été plus longue que prévue, les marins ont allégé l’avant du bateau pour remonter la ligne de flottaison afin de pouvoir ressouder une plaque de métal. Et puis, le Vaeanu est reparti avec plusieurs heures de retard sur son horaire habituel. A bord, nous avons repris nos activités, dormir beaucoup, manger beaucoup et parfois, se laisser aller à la rêverie accoudé au bastingage, le regard perdu sur l’océan Pacifique. Rien ne vaut les voyages au long cours pour échanger quelques tranches de vie avec les autres passagers. Non, vraiment l’avion ne peut en aucun cas rivaliser avec les charmes du Vaeanu. Enfin, un peu, juste pour l’arrivée sur Bora Bora parce que la vue aérienne du lagon est tout de même époustouflante.

Chut ... ils dorment, Tuna'i (la dame en rose) m'a dit en me montrant ses amis "regarde les Tahitiens, ça pense qu'à manger, à dormir et à rigoler"
Le Vaeanu a été desossé en 2005 après avoir vaillamment accompli son temps.
Février 2003

vendredi 25 avril 2008

Istanbul : Les chats en leur royaume


"Les chats d'Istanbul, explique el Gaviero, sont d'une sagesse absolue. Ils contrôlent complètement la ville, mais ils le font d'une façon tellement prudente et silencieuse que les habitants ne se sont jamais rendu compte de ce phénomène. Cela doit remonter à Constantinople et à l'Empire d'Orient. Je vais vous dire pourquoi: j'ai soigneusement étudié les itinéraires que prennent les chats à partir du port, et ils suivent toujours, sans jamais dévier, ce qui fut les limites du palais impérial. Celles-ci ne sont plus visibles car les Turcs ont construit des maisons et ouvert des rues là où se trouvait jadis l'espace sacré des oints de la Théotokos. Et pourtant les chats les connaissent d'instinct et les parcourent toutes les nuits, entrant et sortant des constructions élevées par les infidèles. Après quoi, ils montent jusqu'à la pointe de la Corne d'or et se reposent un moment dans les ruines de palais de Baltchernes. Au lever du jour, ils regagnent le port pour faire le compte des navires qui sont arrivés et s'assurer du départ de ceux qui quittent les quais. Mais le plus inquiétant, c'est que si vous amenez un chat d'un autre pays et que vous le laissez dans la port d'Istanbul, la nuit même, sans hésitation, le nouveau venu accomplit le parcours rituel. Ce qui veut dire que les chats du monde entier conservent dans leur mémoire prodigieuse les plans de l'auguste capitale des Commènes et des Paléologues."
Alvaro Mutis

L’heure de la troisième prière a sonné et le vieil homme assis sous un platane qui se dresse près de la mosquée de Beyazit replie son journal, repose délicatement sur le sol, le chat venu se blottir contre lui alors qu’il lisait, avant d’entrer dans le lieu de culte. L’animal se dirige tranquillement vers un autre lecteur, saute sur ses genoux, l’homme interrompt à peine sa lecture pour caresser le félin qui, après deux tours sur lui-même se pelotonne confortablement avant de s’assoupir à nouveau.
Le chat de la cité stanbouliote jouit d’une attention et d’un respect étonnant et, jamais je n’ai surpris l’ébauche d’un geste agressif envers ces nombreux quadrupèdes qui promènent leur nonchalante silhouette un peu partout dans la ville. Le chat vous aborde, vous reconnaît, vous adopte et tout lui semble permis. Indépendant et fier de nature, l’animal n’abuse pas de ses prérogatives. Istanbul leur a dédié un quartier : Cihangir, quartier des chats.
L'attention particulière des habitants envers cet animal domestique viendrait de ce que le prophète Mohamed aurait, un jour, alors que l’heure de la prière avait sonné, déchiré un morceau de sa tunique sur lequel était endormi Muezza, son chat, pour ne pas avoir à le réveiller. Certains racontent même que c’est au prophète que le félin doit son aptitude à retomber sur ses pattes.
Sans domicile fixe pour la plupart, ils flânent dans les rues, quêtent sous les tables des restaurants et se regroupent près des lieux de cultes et dans les cimetières. Traités avec bienveillance, ils peuvent compter pour le couvert sur les fidèles aux félidés qui les nourrissent abondamment, quant au gîte, ils se débrouillent très bien par eux-mêmes.
En échange de ces largesses, les chats assurent consciencieusement leur fonction raticide silencieuse et utile pour les villes.

A l’inverse, les chiens, moins bien lotis, se font beaucoup plus rares et réellement plus discrets dans les rues où ils sont quelque peu malmenés. Leur sort fut plus enviable au 19e siècle, les voyageurs européens Chateaubriand, Lamartine, Nerval, ont décrit les nombreuses bandes de chiens des rues de celle qui n'était pas encore Istanbul mais Constantinople. Chaque quartier avait alors ses chiens, vivant en bonne harmonie avec les habitants, faisant souvent office d'éboueurs ou de signal d’alarme pour les incendies.
Leur sort bascule en 1910 : 30 000 chiens sont enlevés puis déportés sur l'île d'Oxia, au large d'Istanbul. Privés d'eau et de nourriture, ils vont s'entredévorer. Il semble que cette campagne d’éradication des chiens des rues intervenue un an après la déposition du sultan n’ait été en aucun cas dû à un quelconque principe de précaution ou de régulation de la gent canine et marquait plutôt une rupture symbolique avec l’ancien régime. L'attachement à ces chiens apparaissant à beaucoup de membres du nouveau régime comme un signe de superstition et d'obscurantisme.
Les canidés subiraient encore des campagnes d'empoisonnement et de gazage. Je comprenais mieux pourquoi ces pauvres bêtes faisaient profil bas et rasaient les murs jusqu’à s’y fondre.


Côté ciel, des centaines de pigeons ont élu domicile dans les dômes et les arches des mosquées. Assises sur de petits tabourets, des femmes vendent des graines qu’elles déposent dans des coupelles pour les jeter facilement aux oiseaux. Un petit commerce dont bénéficie les pigeons aux aguets qui fondent en battements d’ailes désordonnés dès que ces friandises leur sont lancées par les touristes avides de photos souvenir, par les enfants ou ceux qui prennent plaisir du turbulent spectacle ailé. Le volatile truffé de parasites ne serait pas très fréquentable mais personne ne semble s’en soucier vraiment. La mouette, version aquatique du pigeon, occupe en nombre les berges du Bosphore et fait cortège avec force cris et piaillements aux bateaux de pêche dans l’espoir de récolter, quelques déchets de poissons jetés par dessus bord. Aux cris des mouettes et des corbeaux de la rive occidentale répondent le chant des rossignols de la rive orientale.

Plus inattendu dans une ruelle du quartier d’Eminönü, un petit coq au plumage chamarré couve des yeux une poule de même taille. Le couple appartient au serrurier qui les abrite sous son établi. La grippe aviaire ne les a pas encore touchés.

Mais à la nuit tombée, il ne reste que les chats qui s’approprient les rues désertées pour en faire leur royaume.

Février 2003 - septembre 2006

lundi 14 avril 2008

V : Voyageur

« Dans le ciel, les pigeons voyageurs porteurs d’espoir, naviguent sur la caresse de l’azur vers de lointains horizons.
Dame nature a donné un arbre à ces vagabonds célestes, ravenala madagascariensis, l’arbre du voyageur, éventail géant qui offre son eau et son ombre aux flâneurs bienheureux. »

De tous les voyageurs, la version flâneur a ma préférence.

Au gré de ses rencontres, son parcours suit la ligne sinueuse de ses émotions.
Tel un collectionneur, il amasse les perceptions qui le traversent pour dessiner la carte impressionniste de son itinéraire.

L’intuition plutôt que la raison lui sert de guide.

Il se fait un ami du temps qu’il étire à volonté et sa vision intime et personnelle loin des savoirs encyclopédiques, touristiques, journalistiques, résonnent de silhouettes effacées, de phrases volées, d’oiseaux colorés, de pétales de fleurs fanées, de rires aux éclats, de rivières chantantes, de minuscules détails et de microscopiques événements qui tissent la vie de chaque instant.

Il se garde des comparaisons inadaptées entre ici et là-bas, ne cherche pas à conforter de vagues opinions forgées au fil de lectures incertaines, ne se considère pas comme sujet référentiel. Ensemencé par le vent du lieu, éclairé par le chant des langues insoumises, enchanté par tant de différences, le rêveur du voyage glane des impressions auxquelles il abreuve son imaginaire, renouvelle ses perceptions, refonde sa vision du monde, engrange ses sentiments comme autant de pierres précieuses.

dimanche 13 avril 2008

La fille de Peeta


Peeta-Peter affiche ses prénoms et son nom sur un avant bras musclé, un tatouage bien utile en cas d’amnésie ! Il s’appelle Peeta mais puisque tout le monde s’obstine à dire Peter, il indique les deux prénoms et chacun choisit. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de son copain Yvon et plus rien ne compte que de se torcher à l’Hinano au bistrot du coin pour fêter ça, accompagné par deux chiens bien sympas « Whisky » et « Bouchon ».


58 ans, originaire des Samoa, l’un de ses grands-pères était un norvégien. Cet ancêtre fabriquait des cotres en bois. Peter est veuf, sa femme est morte il y a quatre ans, d’un cancer, il ne comprend toujours pas pourquoi elle devait souffrir comme cela. Aujourd’hui, il cherche une nouvelle femme. On peut dire qu’il est honnête dans sa quête car à peine formulé son souhait, il informe que ça l’arrangerait bien pour tenir la maison et s’occuper des trois enfants. L’aîné a 16 ans, le cadet 12 et la benjamine 10. Ça a le mérite d’être clair.


Il est plutôt bel homme, un regard clair, une poignée de main franche et un parler sonore. Quand ce n’est pas l’anniversaire d’un copain, il cultive des tarots et des pamplemousses et puis, il pêche bien évidemment. Il habite à la pointe de Maupiti, à côté de la plage d’Otue Terei’a qui se termine sur la barrière de corail. Un site merveilleux, presque personne n’y passe. Là, Yasmina, la fille de Peeta vient, après l’école, jouer avec l’un de ses frères. Aujourd’hui, ils entreprennent la construction d’un château de sable, sans grande conviction.


Cinq heures, Peter vient examiner la mer et le ciel, toujours flanqué des deux clébards. « C’est la nouvelle lune, c’est pour cela que la mer est agitée mais demain ça va s’arranger » commente t-il un peu pour moi, un peu pour lui-même. Puis je me retrouve seule et longeant la plage pour regagner la route, j’aperçois devant moi des centaines de coquillages progressant vers la mer. Vision un peu surréaliste de sables mouvants, les habitants de ces carapaces se posent et s’immobilisent lorsque je les approche d’un peu trop près, histoire de me faire croire que ce ne sont que de vulgaires coquilles vides. Mais dès que je leur tourne le dos, ils reprennent leur marche silencieuse tandis que, devant moi, d’autres s’arrêtent à leur tour.


La vie à Maupiti s’écoule tranquille, pas d’hôtel, quelques voitures dont on se demande bien quelle utilité elles peuvent avoir, l’île fait 9 kilomètres de long, rares touristes et aucun cargo, la passe est bien trop étroite et dangereuse pour qu'ils s’y risquent. Seuls le petit avion du vendredi et le Maupiti express, vedette rapide font le lien avec le reste du monde. Alors, le temps s’ est arrêté là et c’est bien ainsi.

Février 2003

mardi 8 avril 2008

Balade à Vienne et à Graz

« On voyait déambuler dans la large Ringstrasse, les habitants de cette ville, joyeux sujets de sa majesté apostolique, tous laquais de sa cour. La ville tout entière n’était que la vaste cour du château. » Joseph Roth, « La marche de Radetzky »

Vienne, parait toujours s’accrocher à sa position de ville impériale. L’architecture du centre historique en fait tant et si bien dans l’opulence qu’elle occulte Vienne la rouge, ouvrière et besogneuse. Quelques immeubles en verre tentent une timide percée moderniste dans l’enclave de la vieille ville. Les clichés exercent toujours leurs fonctions attractives. Autant les exorciser très vite. Non le Danube n’est pas bleu et son excentration le rend moins présent comme si la ville ne l’avait jamais entièrement accepté et qu’il avait fallu une valse pour lui accorder un regard.

Aux trésors intemporels du pouvoir impérial, nous préférions les plaisirs de l’instant : un cornet de pommes de terre, une saucisse moutarde et surtout du punch chaud avec une nette préférence pour la version asiatique aux cinq épices qui se laisse boire avec un ravissement certain. Cette possibilité de se sustenter dans la rue en composant son dîner au gré des baraquements où l’on se côtoie sans prétention, casse le cérémonial stéréotypé du restaurant d’une façon réjouissante.

Autre lieu, autre ambiance, au Café Mozart reconstruit après guerre, la surabondance de boiseries, de cuivres rutilants, de marbre, l’empressement des serveurs élégants dans leur costume noir contribuent à l’illusion d’un temps qui n’est plus. Parfois deux grandes bourgeoises entrent drapées dans leur élégance hautaine. Elles sont accueillies avec force sourire et salutations par des serveurs qui les accompagnent vers la table réservée. Alors le goût du chocolat chaud au Cointreau, de la sachertorte, de l’apfelstrudel ou de la glassierte nuss torte, se trouve sensiblement rehaussé par le piment de l’imaginaire qui nous entraîne instantanément soixante-dix ans en arrière.

Les cochers, fouet et chapeau melon, attendent les promeneurs sur la Stephanplatz pour les mener dans leurs attelages le long du ring. La cathédrale se laisse toujours admirer et les figures grimaçantes d’une statuaire expressive et riche se moquent des visiteurs pressés qui se font une obligation de passer sans les voir pour remplir leur contrat de parfaits touristes.

Mais les villes ne sont pas des musées. Vivantes et multiples, elles s’appréhendent selon une subjectivité qui se moque des guides touristiques. Certes les lieux de mémoire sur lesquels j’avais jeté mon dévolu faisaient inévitablement partie de ces ouvrages qui uniformisent le regard du voyageur mais par chance, ils y étaient relégués en troisième ou quatrième position des visites conseillées et ce classement leur évitait les foules envahissantes.

Novembre 2003

Istanbul : un instant d’intemporalité

Premier séjour, février 2003, l’hiver sévissait, la neige donnait à Istanbul un air feutré à la limite de l’irréel. Avec, Sylvie, ma compagne de voyage, nous avons passé une semaine joyeuse et désordonnée à dépenser nos millions de livres turques sans compter, à commander plus de mezzés que nous ne pouvions en manger, à chercher un hammam qui était sous nos yeux, à entrer dans les pâtisseries pour nous gaver de délicieux gâteaux dégoulinants de miel, à boire du thé pour nous réchauffer sur le Bosphore, à fêter ses trente ans mais bien évidemment nous avons aussi visité autant de sites recommandés par les bons guides touristiques que nous pouvions. Au sortir des mosquées, le vendredi, les manifestants protestaient contre l’éventualité d’une guerre en Irak, rejoignant le chœur d’une manifestation plus vaste qui se déroulait à l’échelle du nord de la planète

Deuxième séjour, fin d’été 2006, un soleil flamboyant et des soirées douces sur les rives du Bosphore. La livre turque avait perdu des zéros et la ligne de tramway poursuivait sa route, trois stations au delà du pont Galata. Avec Mylène, nous avons passé une journée aux îles, une soirée en observation à Eminönu, nous avons admiré la plénitude de la lune chacune sur un continent différent, nous avons flâné à Taksim et bien évidemment nous avons visité quelques sites recommandés par les bons guides et marché, marché dans les ruelles, les avenues, le matin, le soir, plus ou moins au hasard. L’affaire du moment concernait l’envoi d’un contingent de l’armée turque au Liban pour une mission humanitaire et logistique. Plusieurs milliers de manifestants protestaient contre ce qu’il considérait être un soutien aux américains et aux Israéliens.

Les impressions glanées confortaient l’idée que la ville faisait semblant de se laissait apprivoiser pour mieux dissimuler sa complexité.

Les romans des écrivains orientalistes du 19e siècle : Lamartine, Loti, Chateaubriand,… tombés sous le charme d’Istanbul servent encore de matrice aux représentations que nous avons de l’Orient et bien que sachant ces descriptions largement surannées, il n’en reste pas moins que nous tombons sous le charme de cette ambiance dans laquelle plane tout l’imaginaire collectif de l’Orient. Parfois dans l’œil du viseur de l’appareil photographique, je me surprenais à chercher les images qui correspondraient le mieux à mes propres représentations d’Istanbul, un défaut qui nous colle à la peau en voyage, la recherche d’un exotisme. On débarque dans la ville chargée de ses clichés et l’on se trouve dans le tourbillon d’une métropole contemporaine. La ville turque est entrée dans le 21e siècle avec ses contradictions et ses grands écarts, avec ses étonnantes cohabitations architecturales, religieuses, générationnelles, .peut-être un peu plus exacerbées qu’ailleurs en raison de la position géopolitique du pays. Et Istanbul est bien vivante, ancrée dans le présent même si au détour d’une ruelle, un sentiment d’intemporalité vous saisit qui fige l’instant pour vous mettre à l’abri du temps, juste pour mieux apprécier la ville- monde.

Istanbul ne laisse personne indifférent. Comme toutes les villes que le poids de l’histoire et de la culture rendent attirantes, elle s’appréhende le plus souvent par sa partie ancienne, la corne d’or. Cette option se justifie par la richesse et la magnificence des édifices : mosquées, palais, bazars,… mais aussi par l’animation des rues. Mais il ne faudrait pas s’en tenir là. Comme toutes les villes, elle présente de multiples visages qu’il faut du temps pour découvrir. Je n’aurai aucunement la prétention de tous les connaître mais j’en ai retiré quelques impressions suffisamment fortes pour tenter de les transcrire et avoir l’envie d’y retourner en chercher d’autres.

Marie-France vit à Istanbul depuis quelques années. Elle a déjà eu les honneurs de la presse en Turquie, notamment pour son blog http://dumielauxepices.net/ qui fait désormais référence, elle livre principalement la vie stanbouliote telle qu’elle la vit, telle qu’elle la voit. Bien écrit, richement illustré, ni trop intime ni trop distant, il offre un regard actuel sur le pays que les voyageurs feraient bien d’adopter avant de s’y rendre pour éviter de regarder vers le passé plutôt que le présent.