dimanche 19 juillet 2009

Coupe de cheveu à la mode soviétique


Santa Cruz de Ténériffe, port de pêche.
Seul bar à la ronde : une baraque en planche en plein centre du terrain vague qui longeait le môle, quatre tables sur le devant et trois à l’intérieur près d’un comptoir bancal. Un homme qui semblait revenu de tout et collait bien à ce paysage désolé faisait tourner l’affaire. Il nous allait bien ce troquet posé là, au milieu de nulle part. Nous n’avions pas le choix d’ailleurs, à moins de parcourir cinq kilomètres pour aller en ville boire une bière fraîche. La chaleur troublait l’air en vagues ondoyantes dans lesquelles tourbillonnait la poussière. De l’océan, tout proche, nous n’entendions que la musique, le port nous tournait le dos. L’établissement se voulait terrestre.

Ce jour-là, l’équipage d’un chalutier russe occupait toutes les tables de ce café improbable. Les marins soviétiques sortaient rarement. Tous leurs bateaux étaient suspectés de pratiquer l’espionnage en plus de la pêche. C’était une probabilité forte. Le monde se divisait encore en deux blocs bien distincts : Est et Ouest.

Nous prêtions à ces hommes des histoires peu communes et des activités indicibles sans bien savoir lesquelles. Certains soirs, à la nuit tombée, une projection rassemblait l’équipage sur le pont : films en noir et blanc dont la pellicule rayée semblait ne plus en pouvoir. De ce que nous en apercevions depuis le quai, il ne s’agissait ni d’une histoire d’amour ni d’un récit d’aventure mais d’une fable guerrière façon réalisme socialiste, le pire du genre.

Il restait deux chaises libres en bout de table et nous fûmes conviés à nous joindre au groupe qui l’occupait. De l’art de boire à la russe, nous avions déjà expérimenté les effets avec une comtesse - du moins à ce qu’elle affirmait et nous trouvions romantique de la croire – slave, échouée à Paris qui nous servait de la vodka dans de grands verres qu’elle remplissait consciencieusement à ras bord. Une soirée en sa compagnie promettait des lendemains qui déchantent mais sa verve mise au service de récits pittoresques valaient bien ces inconvénients.

Les marins avaient commandé de la liqueur de banane qu’ils mélangeaient avec la vodka, cuvée spéciale chalutier. La boisson étaient à notre goût. Verre après verre, les échanges, un peu heurtés dans les premiers temps, se firent de plus en plus animés, en anglais et en gestes. Un officier - nous lui avions attribué ce grade pour sa maitrise de la langue anglaise mais aussi parce qu’il buvait peu et nous supposions qu’il avait en charge le bon déroulement de cette échappée terrestre - traduisait parfois nos propos, il s’appelait Dimitri. J’ai oublié comment nous en étions venus à parler coiffure et chevelure à raccourcir avant la traversée de l’Atlantique. L’un de nos compagnons de tablée affirmait être l’homme de l’art et de la providence, coiffeur du bord qui a immédiatement proposé ses services pour tailler la généreuse tignasse bouclée de mon compagnon.

L’aventure c’est l’aventure ! Au pied de la passerelle, attendant l’autorisation de monter à bord du chalutier - qu’elle paraissait étroite et longue cette planche alors que le sol se dérobait un peu sous nos pas et que le paysage vacillait - le filet placé entre le bateau et le quai prenait tout son sens, je me demandais si tout cela était bien raisonnable. La curiosité l’emporta. Monter à bord d’un chalutier russe, nous allions faire des jaloux. Entassés dans une cabine, un énorme tas de crevettes sur la table et de la bière russe dans un pichet, la dizaine d’hommes rigolards au milieu desquels je me tenais, observait l’affaire avec attention. Mémorable séance. La coupe de cheveu valait le déplacement. Et clic et clic, les mèches se détachaient et tombaient en silence. Les verres se remplissaient, se vidaient, se remplissaient à nouveau. Profil droit. Commentaires entrecoupés de rires. Profil gauche. Deuxième pichet de bière. Crevettes craquantes. Enfin, l’homme de l’art contempla son œuvre et la déclara parfaite. Cheveu ras sur les côtés, touffu, bouclé et dense au sommet du crâne. L’effet surprenait et prêtait à sourire.

Dimitri, l’officier nous offrit un petit tour de chalutier, mais tout petit. La salle des machines était d’une étonnante propreté. A l’instant de redescendre vers le quai, périlleuse épreuve, j’ai dû concentrer mes efforts pour viser le quai, mon orgueil aurait trop souffert d’une chute dans les filets. Il n’en a rien était, mon honneur était sauf. Quelques jours plus tard, Dimitri est venu boire un café sur Athanor, notre voilier. Les slaves, incurables romantiques ! Nous avons échangé nos bonnets rouge contre bleu et pour un peu nous en serions venus aux larmes. Plus tard, l’étrave du chalut s’est écartée du quai pointant son nez vers le large. Dimitri allait retrouver sa femme et ses enfants. Dominique avait un océan devant lui et ses cheveux trouveraient bien le temps de repousser pendant la traversée. Il fut la risée de la communauté des navigateurs jusqu’au départ mais ne s’en soucia guère et rit plus souvent qu’à son tour… L’océan s’en souvient encore ….
novembre 1977

jeudi 9 juillet 2009

Cargo : le choix du voyage

L’engouement pour les voyages en cargo démarrait à peine, vestige d’aventures au long cours où d’intrépides voyageurs demandaient à embarquer pour de lointaines destinations en échange de menus travaux ou bien d’une somme dérisoire pour peu qu’ils acceptent de dormir calés entre les marchandises transportées et donnent un coup de main à quelques manœuvres simples. Ainsi pouvaient-ils se rendre au gré de leurs envies en d’improbables destinations qui les faisaient rêver.

Aujourd’hui, la taille des bâtiments a considérablement augmenté, les équipages, réduits au minimum pour des raisons de coûts mais aussi parce que l’avancée technologique a bouleversé la marine marchande et rendu certains postes superflus, quelques cabines désertées sont désormais réservées à des passagers officiels qui achètent un billet en bonne et due forme et se voient en échange offrir le gîte, le couvert et le sourire du capitaine pour une traversée confortable pouvant néanmoins être modifiée à tout instant pour peu qu’un chargement de marchandises s’annonce dans un port près duquel le porte-container fait route.

Plus question, non plus d’espérer flâner plusieurs jours lors d’une escale qui dure rarement plus de douze heures. Si le cargo accoste en pleine nuit, il arrive qu’il ne soit pas possible de descendre à terre. Ainsi, ai-je ressenti la frustration de ma vie à Alexandrie où le Woclawek,porte container polonais devait décharger et embarquer du fret. Je me faisais une fête de parcourir cette ville, même quelques heures seulement, tant l’œuvre majeure de Lawrence Durrel « Le quatuor d’Alexandrie » avait, pendant des années, nourri mon imaginaire et qu’il m’a été interdit de m’y rendre. Comme je tentais de ruser, les militaires agressifs ont menacé de me conduire au poste mais bien trop en colère pour conserver mon calme, je n’en démordais pas tant et si bien que Jerzy, l’officier en second pressentant que l’affaire risquait de dégénérer est venu me chercher. Quelques jours plus tard, il m’offrait un cendrier qu’une Néfertiti tenait dans les mains et dans lequel étaient gravées les pyramides, accompagné d’un petit mot.

Après avoir étudié les trajets proposés par les différentes compagnies internationales et le coût du voyage, la Polish Ocean Line a fait souffler le vent du large sur mon désir de mer. Joindre le représentant de cette compagnie n’était pas une mince affaire, Internet n’avait pas encore modifié le monde. Pendant plusieurs jours personne n’a répondu ni à mes appels téléphoniques, ni à mes fax. Puis une voix m’a donné rendez-vous rue Richepance près de la Madeleine. Au jour et à l’heure dîtes, personne n’a ouvert la porte sur laquelle je frappais de plus en plus fort. Impatiente et décidée, j’ai fait le siège assise dans l’escalier, le roman de Joseph Conrad « Emmène-moi au bout du monde » à la main. Une jeune fille s’est enfin arrêtée devant moi en bredouillant, elle s’est excusée et a justifié son retard par un statut d’étudiante et des examens à passer. Quelques minutes plus tard, mon voyage à pris la forme d’une facture en dollars rédigée à la main.
Moments extatiques des préparatifs, montée du désir d’ailleurs, rêveries au long cours et demandes de visas aux ambassades. Bagages : les affaires étalées sur le lit, livres, crayons, carnets, appareil photo, baladeurs cassettes et vêtements, Je ne voulais pas me rater, manquer de pellicules ou de lecture. Pour tout faire entrer dans le sac à dos, il a fallu, éliminer un peu, les vêtements en ont fait les frais. …
Et c’est depuis la Gare du Nord que je me lançais enfin vers le grand large.

Octobre 1995

mardi 5 mai 2009

Colombo côté cour

Sur la route à peine en état et toujours débordée de véhicules énervés et bruyants qui mène de Bandaranaike International Airport à la capitale, sont dressés des échoppes en tôle et des assortiments de bâtiments que le hasard a plus ou moins aligné sans autre souci apparent que de remplir des espaces laissés vacants. Et, de-ci de-là, quelques bienveillantes divinités hindouistes et bouddhistes qui protègent leurs occupants, se côtoient en toute simplicité.

Aéroport – centre ville, une quarantaine de kilomètres. A proximité des zones de fret, apparaissent les usines textiles, bâtiments aux formes fonctionnelles et sans âme qui se succèdent, à peine entrecoupés par de petits terrains plantés de quelques arbres qui se demandent bien ce qu’ils font là. Il était tôt, les jeunes filles, jupes longues, chevelure balayant les reins, domptée par une attache ou libre comme l’air, avançaient, par deux ou trois, un mètre ou deux entre chaque groupe. Chapelet d’ouvrières se rendant au labeur en procession. Tailler, couper, assembler, coudre, poser les boutons, …les opératrices sur machine à coudre dans la chaleur des ateliers œuvrent 8 heures par jour minimum auxquelles s’ajoutent souvent deux ou trois heures supplémentaires pour un salaire de 500 francs par mois. En bout de chaîne vestes, pantalons, jupes, tee shirts,… des milliers de pièces expédiés au loin. Gap, Calvin Klein, Lewis, … les marques que la mondialisation a déversées sur une grande partie du monde. Une usine moyenne emploie 300 à 400 personnes, en grande majorité des femmes. C’étaient elles, qui ce matin-là, offraient aux voyageurs débarquant sur l’île, une impression de légèreté qui s’estompait au fur et à mesur que nous approchions du centre de la capitale.

En ville, Odell, magasin classieux fondé par une cinghalaise, vendait le surplus de ces productions à prix intéressants pour les européens. Et, dans un bâtiment rose bonbon, un « Tati » local proposait des vêtements de marque dégriffés dont les prix ne dépassent jamais 500 roupies (50 francs). Le sari et le sarong dont les couleurs enchantent la rue, croisent les tenues occidentales tellement plus neutres et insipides. A Colombo, le vêtement signe le niveau social et l’obligation professionnelle plus qu’une adhésion à un mode de vie ou une affirmation identitaire.

Rajiv, heureux propriétaire d’un tuk tuk rouge, portait pendant la journée, un pantalon sombre avec plis bien marqués, mais laissé à lui-même, le soir, le sarong avait sa préférence. Fier de sa monture d’acier, il l’entretenait avec un soin quasi maniaque. Nous nous étions mis d’accord: « Rajiv, s’il vous plait, emmenez-moi, voir les curiosités de Colombo mais, assez vite et juste les plus importantes. » Le statut de visiteur étranger comporte des obligations, celle, entre autre de visiter les lieux identifiés comme incontournables. Imaginez un américain débarquant à Paris et n’allant pas voir la Tour Effel ou un européen à Moscou qui ne passerait pas par la Place rouge. De quoi auraient-ils l’air en rentrant chez eux, ils seraient moqués pire encore, considérés comme des menteurs. Qui voudrait croire à une telle gaffe touristique, une pareille omission ?

Le véhicule rutilant filait dans les rues de la capitale en direction de la gare de Colombo Fort. La densité de la circulation en ce lieu atteignait des sommets. Les voyageurs qui débarquaient ou embarquaient ajoutaient au chaos ambiant fait de bruit et de poussière. Face à la gare, de l’autre côté de la chaussée par un pont que seuls les piétons pouvaient emprunter, un quartier métissé, grouillant de monde, patchwork de petites boutiques, de restaurants populaires, de bureaux : le lacis de ruelles de Pettah, le plus vieux quartier de la ville où se nichait un bazar. Rajiv conduisait rapidement avec dextérité et de temps à autre pointait son bras vers un bâtiment faisant un commentaire. Je tendais l’oreille saisissait un mot sur deux ou trois et m’en contentais.
Dans le quartier du fort, la période hollandaise avait bien du mal à se maintenir même à l’état de vestiges. Les deux tours de 34 étages du World trade center et quelques autres, toutes de verre et de métal, dominaient désormais la tour de l’horloge ayant résisté à la modernité et aux aléas de l’Histoire. Au croisement de Chatham Street et de Janadhipathi Mawatha elle était devenue un monument historique et s’en contentait, elle qui autrefois, en plus de marquer le temps, brillait dans la nuit pour indiquer la route aux navires. Rajiv fit la première halte devant l’élégante façade du Grand Oriental Hotel. Dans ce fleuron emblématique de la colonisation britannique, Anton Tchekov séjourna en 1890, une plaque apposée dans le hall l’attestait. Colombo était alors une élégante et dynamique cité asiatique, escale obligée entre l’Europe et l’Extrême Orient. La ville se développait. autour du port et l’Oriental hôtel vantait sa situation "à un jet de pierre du débarcadère » Au dernier étage, la vue panoramique ouvrait sur le port. Les grues tendaient leurs bras sur les docks sans aucune cohérence. Quelques cargos et un pétrolier patientaient paisiblement dans les eaux troubles. Un soupçon de délabrement saupoudrait l’ensemble. La course folle en tuk tuk reprit de plus belle.

Rajiv pratiquait le bouddhisme au temple Gangaramaya, ce fut notre seconde halte. L’éléphant enchainé bandait et se dandinait misérablement, il me faisait de la peine. Dans la grande salle, bouddha dominait les fidèles du haut de ses cinq mètres entouré de bouddhéités colorés dans un état d’intense béatitude. Dans la cour, quelques femmes arrosaient l’arbre qui aurait vu naître le boddhisattva. Les petites lanternes répandaient une odeur douçâtre d’huile de coco en se consumant. Rajiv accomplit ses dévotions et notre périple prit fin devant la maison de mes hôtes.

Ils logeaient dans une luxueuse demeure du Cinnamon gardens, quartier résidentiel tirant son nom de l’épice qui fit une partie de la renommée de Ceylan. D’anciennes résidences coloniales abritaient les ambassades. Les check point y étaient nombreux, Les militaires semblaient s’y ennuyer ferme. Certaines rues étaient barrées. Le conflit avec les tamouls s’était apaisé mais sans être réglé et la capitale restait sous surveillance. Ce lieu privilégié respirait le calme et le luxe. Il y avait comme une invisible frontière entre ce quartier protégé de tout, et le reste de la ville, la franchir vous plongeait aussitôt dans un tourbillon animé, frénétique et bruyant comme si le rideau d’une pièce de théâtre se levait soudain sur une gigantesque fresque.
Des mille façons de parcourir la ville pour en établir une géographie personnelle, j’avais opté pour le hasard, le petit bonheur la chance. Se faire les semelles sur les trottoirs de Colombo, permettait de saisir de petites parcelles de vie et de mieux sentir les ambiances contrastées que chaque quartier distillait.

Au cours de mes déambulations je glanais mille et une scènes qui enrichissaient le récit de la ville :
- L’homme se rasait à même le trottoir, le miroir accroché à un arbre.
- Sur la chaussée, des corneilles disputaient aux chiens et aux chats faméliques quelques résidus informes.
- Les militaires, mitraillettes au poing, surveillaient d’un œil distrait la circulation sur Galle road, veillant sur la sécurité des habitants, la menace d’attentats perpétrés par les tamouls planait toujours.
- Le marché étalait avec abondance fruits et légumes, les épiciers chinois supervisaient le rangement des marchandises en rayon.
- Les vendeurs et leurs échoppes ambulantes égayaient les chaussées de vives couleurs : fabrication de clefs, réparation des moteurs, vente d’enjoliveurs, de fruits, de billets de loterie, de casseroles, de bassines en plastique,…..
- Un homme portant un sarong déchiré dormait à même le sol.
- Les bus étaient pris d’assaut par des foules pressantes sur Galle road.
- Un buffle tirait un chariot sur lequel était juché un homme portant chapeau.
- Sur Galle road encore, the Barefoot workshop, offrait une halte apaisante .
- A l’affiche du cinéma le film américain « Qui veut sauver le soldat Ryan ? »
- Pour quelques roupies, des magasins spécialisés proposaient toute sorte de logiciels piratés, de jeux, d’images…
- Un moine choisissait avec soin un billet de loterie vendu par une jolie cinghalaise.
- Le « Mac Donald » faisait vraiment déplacé avec sa façade en verre si propre dans laquelle se reflétait la vétusté ambiante.
- Sur Paradise road, une boutique assez chic vendait des couverts en coco à manche coloré.
- Dans un petit café, le jus d’ananas fraichement pressé se laissait apprécier.
- Sur un bras du lac, un pêcheur ayant lancé sa senne ne ramenait que sacs plastiques, papiers, bouteilles. - Dans le quartier de Kollupitiya, proche du lac Beira , l’université s’agrémentait de grands parcs pour de paisibles balades.
- Le mur du ministère de l’industrie s’ornait d’un mural vantant les vertus du travail.
- Une mère de famille négociait auprès d’un vendeur, un morceau de poisson pour le déjeuner.
- Les chiens galeux et les chats squelettiques s’approchaient craintivement d’un homme qui raclait une assiette dans le fol espoir de récupérer quelques miettes qui pouvaient en tomber.
- Un mécanicien amateur tentait de réparer pour la vingtième fois la pièce défaillante du moteur d’un bateau avec un fil de fer.
- Le coiffeur dans le fond de son minuscule salon agitait ses ciseaux dans la chevelure d’un homme béat.
- Perahera mawatta longe le Beira lake qui se déploie en plusieurs quartiers de la ville. Dans un petit champ séchaient en permanence des dizaines de draps, de serviettes sur des ficelles tendues entre des piquets de bois. Ce décor, ondulant doucement au vent dissimulait un lavoir, grand bassin en pierre sous la halle en bois autour duquel hommes et femmes savonnaient, frottaient et rinçaient le linge posé en pile à leur côté. Rires et gouttes d’eau mêlés s’évaporaient vite au soleil.
- Sur la plage, un corbeau lâchait le morceau de plastique rose qu’il avait saisit dans son bec tandis qu’un de ses collègues s’acharnait sur une tête de poisson séché. Le coucher du soleil était modeste ce soir-là, bâclant sa prestation comme pressé d’en finir, il se précipitait à vive allure dans l’océan indien, pas de quoi pavoiser. A la nuit, les barrages gardés par des militaires qu’il ne fallait pas taquiner, fermaient certains axes de la capitale. La circulation s’apaisait et la ville tentait pendant quelques heures de se remettre des désordres du jour.
Février 2001

lundi 4 mai 2009

Bienvenue en Molvanie


Succès planétaire pour le guide sur la Molvanie, traduit dans plus de treize langues dont les ventes atteignent des sommets. Un joyaux de l’art du pastiche qui mérite le voyage.

Il y a une quinzaine d’années, au cours d’un voyage au Portugal, las de ne visiter que des cathédrales en chantier, trois compères australiens : Santo Cilauro, Tom Gleisner et Rob Sitch devenus les auteurs du guide de la Molvanie, se sont lancés dans les commentaires plus ou moins délirants sur ce qu’ils voyaient. Ainsi a démarré l’aventure de la Molvanie, un pays imaginaire qui n’existe que par son guide, unique ouvrage au monde consacré à ce pays que les trois australiens hilarants ont rédigé dans un grand éclat de rire. Une parodie de guide, réjouissante jusqu’à l’agacement par ces clichés encore très vivaces sur l’ex-URSS.

La Molvanie « Le pays que s’il n’existait pas, faudrait l’inventer » est située aux confins de l’Union européenne et de l’ex-URSS. Un pays au climat rude et à la population un peu rustre. La monnaie s'appelle le strouble, mais, en période de guerre ou de crise, les locaux acceptent l'ail. Lufenblag, la capitale molvane, cité cosmopolite dotée d’un grand nombre de night-clubs « entre techno-transe et mazurka » et qui accueille des événements internationaux d’importance comme le championnat mondial de pétanque en 1998.

Le touriste en mal d’exotisme ne sera pas déçu. La lecture du guide consacré à ce petit pays donne envie d’y faire un tour pour éprouver sa résistance aux dangers qui semblent être légion dans cette contrée.

Concernant l'hébergement, le guide conseille notamment le U Tri Hradjna, 233 Sv Nazjonal, qui vient d'être élu «plus bel hôtel» par les lecteurs d'Euro Vue, le trimestriel du voyageur malvoyant. Les gourmets se rendront au Restaurant pivotant (Gastrotournicotij) avec vue panoramique. Compter six mois pour une rotation complète.

Le reste du guide est à l’avenant… et tout y passe, la culture, l’hébergement, les mœurs, l’histoire, les fêtes….. Une aventure sans risque.

Quatrième de couverture
Patrie de la polka et de la coqueluche, la Molvanie est une destination souvent négligée par les touristes, mais grâce à ce guide Jetlag entièrement remis à jour, le visiteur enthousiaste pourra désormais profiter de l'un des secrets les mieux gardés de l'Europe de l'Est. Tout ce que vous devez savoir est dans ce guide : Ceux qui voudront éviter les hordes de touristes choisiront la " morte saison " - autrement dit l'hiver ou pendant le Lutenblag Jazz Festival. Un court trajet en bus, et vous voilà à la Pensjon Prazakuv. Vu de l'extérieur, cet hôtel sans prétention semble minable, vieillot et insalubre. C'est le cas. Le Varji est une pizzeria extra proposant d'intéressantes garnitures : le " suprême d'anchois à la figue ", par exemple, à manger ou vomir à la maison. Livraison gratuite dans un rayon de 100 mètres. Différentes activités sont proposées sur le lac : ski nautique, planche à voile, parachute ascensionnel (délicat compromis entre le parapente et le suicide). Les pickpockets sont présents dans les principales gares. Ne quittez pas vos affaires des yeux. S'il vous manque quelque chose, le mieux est d'aller voir un Guarjda Civilje. Il n'est pas impossible qu'il soit l'auteur du larcin.

Extraits
« En Molvanie, chaque saison présente ses avantages. Le printemps et l’automne sont très humides ; l’hiver connaît un froid glacial. En été, la chaleur peut être oppressante. »

« Après la guerre, la Molvanie, sous tutelle soviétique, subit de longues années de privations. Le tournant eut lieu en 1982, au moment de la chute du célèbre Mur de Lutenblag, due moins à une réforme démocratique qu'à un défaut de construction. La disparition du symbole du joug communiste amena néanmoins la Molvanie à procédera ses premières élections démocratiques, en 1983. Elles furent remportées par le général Tzoric, ex-chef d'état major - victoire écrasante, au sens propre, puisqu'en pleine campagne électorale, les membres du parti d'opposition disparurent dans un effondrement. Tzoric et son Parti Rzelic restèrent au gouvernement jusqu'en 1989, avant d'être évincés par le tout nouveau Parti de la Paix, qui s'empressa de déclarer la guerre à la Slovaquie et à la Pologne. Une trêve fut finalement décidée. Malheureusement, ce fut le début d'une grave période de récession pour la Molvanie, qui atteignit son apogée avec la grève de Treize Ans, les ouvriers abandonnant leurs postes pendant 4745 jours pour protester contre les projets de réduction des primes de vacances.En 1997, la Molvanie demanda à entrer dans l'Union européenne. Cependant, le processus d'intégration fut retardé, la Molvanie refusant l'accès aux inspecteurs spécialistes des armes biologiques.Aujourd'hui, le pays oscille entre l'ancien et le nouveau monde. Membre à titre conditionnel de l'OTAN, la Molvanie est bien notée par le FMI, mais doit encore officiellement condamner l'envoi des sorcières au bûcher. Les carences en termes de services publiques, de santé et d'éducation sont préoccupantes, bien qu'il existe neuf chaînes de télévision publiques. Malgré ces contradictions - ou peut-être grâce à elles - les visiteurs sont chaque année plus nombreux à vouloir goûter les charmes de la Molvanie. »

A picorer en cas de déprime, les grands voyageurs apprécieront…

La Molvanie, le pays que s'il existait pas, il faudrait l'inventer Rob Sitch, Tom Gleisner, Santo Cilauro
Editions Flammarion
Paru en 10/2006

lundi 23 mars 2009

Dans l’ombre du troisième homme


"Et comme disait cet ami : l'Italie sous les Borgia a connu 30 ans de terreur, de sang... mais ça a donné Michel Ange, de Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité, 500 ans de démocratie et de paix. ça a donné quoi ... Le coucou"
Réplique d'Harry Lime à Holly Martins scène de la grande roue
"The third man" réalisé par Carol Reed

Inoubliable Orson Welles incarnant Harry lime, personnage sombre et ambigu comme la Vienne de l’après guerre. « Le troisième homme », classique du 7e art, primé à Cannes en 1949, conserve une aura telle que l’office de tourisme de la capitale autrichienne organise un circuit des lieux où se sont déroulées les scènes mythiques du film.

Je fais partie des aficionados de ce chef d’œuvre cinématographique. Je l’ai vu et revu, tant et si bien que certaines images me viennent spontanément en mémoire, les ombres menaçantes qui s’étirent sur les pavés luisants, l’inoubliable rencontre entre Joseph Cotten alias Holly Martins et Orson Welles alias Harry Lime dans une cabine de la grande roue du Prater, les retrouvailles incongrues des deux hommes sous le porche du 8 de la Schreyvogelgasse.

Une esthétique irréprochable, des personnages d’une grande présence, un cadrage innovant, une musique inoubliable, c’est à peine si le film a pris une ride. Le cinéaste a su capter l’ambiance trouble et inquiétante qui régnait dans la ville dans le contexte historique de la fin des années quarante. Vienne y apparaît comme un personnage à part entière et les images sublimes de Robert Krasker l’immortalise dans la posture du Phénix renaissant de ses cendres. Je n’ai pas suivi la visite organisée mais j’ai glissé mes pas dans ceux du troisième homme avec un certain plaisir. Les égouts en moins, dommage !

Mon enthousiasme débordant pour « Le troisième homme » a finit par convaincre Karine et Sylvie de venir avec moi voir le film qui passe deux fois par semaine tout au long de l’année au Burg Kino, un cinéma sur le ring. La salle est petite, 66 fauteuils, les places sont numérotées. Nous n’y avions pas prêté attention et nous nous sommes installées où bon nous semblait ce qui nous a valu d’être vite délogées et remises à nos places attitrées avec un rien d’irritation. Un public cosmopolite venu revoir ce film culte remplissait la salle. Ma voisine mangeait des bonbons, et le bruit des papiers qu’elle dépliait m’a agacé les nerfs pendant un tiers de la séance. La pellicule était à peu près correcte à l’exception de deux scènes légèrement tronquées.

L’histoire s’ouvre et se referme dans les allées du cimetière central. Certes, la ville a pris un autre visage, le soleil brille et la grande roue se dresse au milieu d’un vulgaire parc d’attraction. Mais à la nuit tombée dans le centre déserté, l’atmosphère oppressante du film surgit au coin des rues et au numéro 5 de la Josephplatz, on s’attend à ce que le concierge ouvre une fenêtre et nous interpelle. Un soir mimant une scène du film à mes deux amies, un homme s’est approché de nous et croyant que je dansais nous a donné l’adresse d’une boite de nuit.

« The third man » est toujours bien vivant pour ses admirateurs et le temps ne semble avoir aucune prise sur lui, bien au contraire. Eternel troisième homme !
Novembre 2003

vendredi 13 février 2009

Inauguration à Remuna Vidyalaya

Colombo s’étire en banlieues interminables qui paraissent se déliter au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre ville comme si le temps s’accélérait brutalement faisant vieillir les bâtiments jusqu’à les anéantir. Le soleil avait séché les pluies nocturnes. Les monceaux de poubelles dans lesquels quelques ruminants fouillaient, s’entassaient sur les bas-côtés de la route, confortables amortisseurs en cas d’accident. Mes compagnons rirent beaucoup lorsque je leur parlais de tri sélectif.

Débarquée la veille au Sri Lanka, j’avais à peine eu le temps de me familiariser avec la conduite automobile. La règle voulait que les véhicules roulent à gauche mais c’était juste la théorie, en pratique, il semblait qu’aucun code de la route ne s’appliquât ici ou si peu. Les voitures louvoyaient entre les touk-touk, tentaient des dépassements sans visibilité, klaxonnaient énormément. Sur les routes de campagne, le conducteur se calmait à peine bien qu’il n’ait plus qu’à éviter les nombreux cassis, les titubants vélos, les audacieux ou insouciants piétons qui empiétaient sur la chaussée.

Les prairies se découpaient en carrés formant un échiquier verdoyant. Sur les unes les paysans faisaient les foins sur les autres, les buffles, hiératiques, mastiquaient sereinement. Les villages se succédaient à de brefs intervalles, Tous dessinés selon un même schéma : ils s’égayaient dans les champs par de petits chemins de traverse à partir d’un amas de maisons simples et de rares commerces qui encadraient la route.

Partout, un calme sans remous excepté à Remuna Vidyalaya dans le district d’Horana. Dans ce village de la province de Colombo, l’effervescence était palpable bien avant d’atteindre les quelques habitations qui formaient le centre du bourg. Le ministre de la province ouest, Reginald Cooray, était attendu pour l’inauguration d’un centre de soutien à l’enseignement de anglais et le comité d’accueil peaufinait sa mise en scène. Le directeur de l’Education de la région W.B.M. Saddharatna supervisait les opérations.

Sue, l’amie qui m’accueillait, était l’invité d’honneur en qualité de directrice du British council. Elle m’avait entrainée dans son sillage. Une trentaine de centre avait déjà ouvert sur le territoire. Ils permettaient l’apprentissage de l’anglais dès l’école primaire et le soutien aux enseignants à travers des ateliers. Ce projet mis en place par le gouvernement du Sri Lanka était dirigé par le British council. L’anglais n’était plus la langue officielle depuis l’indépendance du pays en 1948 mais était parlé par les citadins, les professionnels du tourisme et ceux qui avaient étudié. Le cinghalais et le tamoul, les deux langues parlées n’offraient pas tant d'avantages pour trouver du travail.

Le « zonal english support centre » de Horana avait été installé dans plusieurs salles d’un bâtiment qui abritait également des classes. Lui faisant face, une seconde bâtisse dont le mur en brique de la façade ne s’élevaient qu’à un mètre du sol, laissant visible des salles de cours. Entre les deux, une cour en terre battue. Quelques massifs de bougainvillées frissonnaient sous une brise légère. Un oiseau mouche, le bec plongé dans une corolle, peu soucieux de l’agitation ambiante se délectait du nectar d’hibiscus.

Le directeur de l’éducation, les membres du conseil de développement de la région et quelques autres personnalités patientaient dans la cour. Le retard fait partie des coutumes locales.

Un car brinquebalant laissa échapper un groupe de jeunes musiciennes en sari portant fièrement leurs instruments. Une institutrice en sari elle aussi comme toutes ses collègues, leur attribua une place tout en leur détaillant le déroulement de la cérémonie. Les filles en tenue traditionnelle formaient une haie d’honneur. Dans leur coiffure sophistiquée brillaient de petites chaînes dorées Mais l’éclat de leur sourire et leur pétillant regard éclipsaient le reste.

L’attente se poursuivaient gaiement. La chaleur s’accentuait sensiblement. On réajusta les robes, mousseline rose à volant, des fillettes qui devaient remettre les bouquets de fleurs. Puis chacun repris la pause et l’astre solaire en profita pour atteindre son zénith. Enfin dans la vapeur des chaleurs de midi, le véhicule officiel figea le temps. Puis telle une boite à musique ornée de figurines dont on aurait remonté le mécanisme, les danseurs virevoltèrent, les fillettes saluèrent et le cortège des invités se mit en branle. Derrière les talus, une grappe d’écoliers en uniforme blanc, pouffaient à en perdre haleine.

La plaque dévoilée, le ruban coupé, la visite des lieux, un rituel qui mettait en scène un coq en bronze autour duquel brûlaient des bougies et personne capable de me l’interpréter enfin les discours. Tout cela me rappelait furieusement les dizaines de cérémonies auxquelles j’avais assisté en tant que journaliste, à tel point que le correspondant venu couvrir l’événement me taxa d’une pellicule photo. Entre chaque intervenant qui ne manquait pas de dire tout le bien qu’il pensait de cette initiative et remerciait abondamment les uns et les autres, de petits numéros préparés par les enfants égayaient l’assistance. Quelques pas de danse, quelques notes de musique, l’un des enfants imitait le cris des oiseaux à s’y méprendre. Thé, boulettes de légumes, riz cuit au lait, bananes, scellèrent le moment dans une convivialité empreinte de respect. La cérémonie était réussie, ce nouveau centre de soutien à l’anglais ouvrait sous de favorables auspices.
Dans les classes, penchés sur leur livre de cours, les petits écoliers studieux, pratiquaient quelques exercices de lecture. Un retentissant « good morning » salua mon passage. Les institutrices ne parlaient pas anglais. Nos échanges se firent à travers des sourires et des gestes et elles n’en étaient pas avares.

Comme à l’aller, le retour à Colombo fut agitée mais déjà, je n’y prêtais plus trop d’attention, le pays commençait à m’apprivoiser.
Février 2001

mercredi 21 janvier 2009

Causer en polynésien : l’art de parler en A

Le premier jour, j’ai vite appris les trois mots polis et courtois indispensables en toutes circonstances : iaorana : bonjour ; nana : au revoir ; mauruuru : merci (petit entraînement nécessaire pour bien l’avoir en bouche) Et deux autres incontournables : é : ouiaïta : non
e se prononce é - u se prononce ou - r est rrrrrrroulé - h aspiré
Mais après…. pas facile de se motiver pour apprendre le polynésien alors que le français est parlé et compris partout. Ce n’est pas l’usage que j’en aurais ailleurs qui incitait à l’effort. Mais à l’entendre parler et n’ayant pas une activité cérébrale intense à fournir, j’ai fini par capter et capturer quelques mots. Je dois avouer que les séances linguistiques au bar de Maupiti en compagnie des tanés du coin ont beaucoup fait progresser mon vocabulaire.
Allez jouer au scrabble en polynésien, pas facile !

L'alphabet tahitien ne comprend que 13 lettres : 5 voyelles : a, e, i, o, u 8 consonnes : f, h, m, n, p, r, t, v
Un soir après une discussion sévère sur la guerre - parler de la guerre face à un lagon, une bière à la main, ça vous a des airs décalés et irréels – j’ai suggéré le métissage du polynésien avec une langue qui agglutine les consonnes, le polonais par exemple, histoire d’équilibrer voyelles et consonnes. Oh la !, ça les a tous remis d’accord contre cette idée aussi sotte que grenue. Identité culturelle, patrimoine linguistique m’a t’on asséné sans ménagement… oui d’accord mais …. pour jouer au scrabble ce serait plus simple.

En quelques mots
ceux qui reviennent souvent dans les conversations :
ava : alcool ; vahine : femme ; tane : homme
taofe : café ; popaa : les blancs ; fenua : terre
va'a : pirogue ; vanira : vanille ; râ : soleil ;
tamâ'araa : repas ; ma'o : requin ; fare : maison ;
motu : îlot ; ià : poisson ; manu : oiseau

ceux qui me plaisaient mais que je n'ai jamais pu glisser dans une conversation :
riri : fâché ; ta'ata fa'a'apu : agriculteur ;
ta'ata pâpa'i ve'a : journaliste ; ta'ta fa'i rata : facteur ;
maramarama : intelligent ; mea maoro roa : longtemps ;
tau faafaaearaa haapiraa : vacances scolaires
Allez, je vous laisse vous entraîner un peu.
Ia orana ite matahiti api
Mars 2003