vendredi 13 février 2009

Inauguration à Remuna Vidyalaya

Colombo s’étire en banlieues interminables qui paraissent se déliter au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre ville comme si le temps s’accélérait brutalement faisant vieillir les bâtiments jusqu’à les anéantir. Le soleil avait séché les pluies nocturnes. Les monceaux de poubelles dans lesquels quelques ruminants fouillaient, s’entassaient sur les bas-côtés de la route, confortables amortisseurs en cas d’accident. Mes compagnons rirent beaucoup lorsque je leur parlais de tri sélectif.

Débarquée la veille au Sri Lanka, j’avais à peine eu le temps de me familiariser avec la conduite automobile. La règle voulait que les véhicules roulent à gauche mais c’était juste la théorie, en pratique, il semblait qu’aucun code de la route ne s’appliquât ici ou si peu. Les voitures louvoyaient entre les touk-touk, tentaient des dépassements sans visibilité, klaxonnaient énormément. Sur les routes de campagne, le conducteur se calmait à peine bien qu’il n’ait plus qu’à éviter les nombreux cassis, les titubants vélos, les audacieux ou insouciants piétons qui empiétaient sur la chaussée.

Les prairies se découpaient en carrés formant un échiquier verdoyant. Sur les unes les paysans faisaient les foins sur les autres, les buffles, hiératiques, mastiquaient sereinement. Les villages se succédaient à de brefs intervalles, Tous dessinés selon un même schéma : ils s’égayaient dans les champs par de petits chemins de traverse à partir d’un amas de maisons simples et de rares commerces qui encadraient la route.

Partout, un calme sans remous excepté à Remuna Vidyalaya dans le district d’Horana. Dans ce village de la province de Colombo, l’effervescence était palpable bien avant d’atteindre les quelques habitations qui formaient le centre du bourg. Le ministre de la province ouest, Reginald Cooray, était attendu pour l’inauguration d’un centre de soutien à l’enseignement de anglais et le comité d’accueil peaufinait sa mise en scène. Le directeur de l’Education de la région W.B.M. Saddharatna supervisait les opérations.

Sue, l’amie qui m’accueillait, était l’invité d’honneur en qualité de directrice du British council. Elle m’avait entrainée dans son sillage. Une trentaine de centre avait déjà ouvert sur le territoire. Ils permettaient l’apprentissage de l’anglais dès l’école primaire et le soutien aux enseignants à travers des ateliers. Ce projet mis en place par le gouvernement du Sri Lanka était dirigé par le British council. L’anglais n’était plus la langue officielle depuis l’indépendance du pays en 1948 mais était parlé par les citadins, les professionnels du tourisme et ceux qui avaient étudié. Le cinghalais et le tamoul, les deux langues parlées n’offraient pas tant d'avantages pour trouver du travail.

Le « zonal english support centre » de Horana avait été installé dans plusieurs salles d’un bâtiment qui abritait également des classes. Lui faisant face, une seconde bâtisse dont le mur en brique de la façade ne s’élevaient qu’à un mètre du sol, laissant visible des salles de cours. Entre les deux, une cour en terre battue. Quelques massifs de bougainvillées frissonnaient sous une brise légère. Un oiseau mouche, le bec plongé dans une corolle, peu soucieux de l’agitation ambiante se délectait du nectar d’hibiscus.

Le directeur de l’éducation, les membres du conseil de développement de la région et quelques autres personnalités patientaient dans la cour. Le retard fait partie des coutumes locales.

Un car brinquebalant laissa échapper un groupe de jeunes musiciennes en sari portant fièrement leurs instruments. Une institutrice en sari elle aussi comme toutes ses collègues, leur attribua une place tout en leur détaillant le déroulement de la cérémonie. Les filles en tenue traditionnelle formaient une haie d’honneur. Dans leur coiffure sophistiquée brillaient de petites chaînes dorées Mais l’éclat de leur sourire et leur pétillant regard éclipsaient le reste.

L’attente se poursuivaient gaiement. La chaleur s’accentuait sensiblement. On réajusta les robes, mousseline rose à volant, des fillettes qui devaient remettre les bouquets de fleurs. Puis chacun repris la pause et l’astre solaire en profita pour atteindre son zénith. Enfin dans la vapeur des chaleurs de midi, le véhicule officiel figea le temps. Puis telle une boite à musique ornée de figurines dont on aurait remonté le mécanisme, les danseurs virevoltèrent, les fillettes saluèrent et le cortège des invités se mit en branle. Derrière les talus, une grappe d’écoliers en uniforme blanc, pouffaient à en perdre haleine.

La plaque dévoilée, le ruban coupé, la visite des lieux, un rituel qui mettait en scène un coq en bronze autour duquel brûlaient des bougies et personne capable de me l’interpréter enfin les discours. Tout cela me rappelait furieusement les dizaines de cérémonies auxquelles j’avais assisté en tant que journaliste, à tel point que le correspondant venu couvrir l’événement me taxa d’une pellicule photo. Entre chaque intervenant qui ne manquait pas de dire tout le bien qu’il pensait de cette initiative et remerciait abondamment les uns et les autres, de petits numéros préparés par les enfants égayaient l’assistance. Quelques pas de danse, quelques notes de musique, l’un des enfants imitait le cris des oiseaux à s’y méprendre. Thé, boulettes de légumes, riz cuit au lait, bananes, scellèrent le moment dans une convivialité empreinte de respect. La cérémonie était réussie, ce nouveau centre de soutien à l’anglais ouvrait sous de favorables auspices.
Dans les classes, penchés sur leur livre de cours, les petits écoliers studieux, pratiquaient quelques exercices de lecture. Un retentissant « good morning » salua mon passage. Les institutrices ne parlaient pas anglais. Nos échanges se firent à travers des sourires et des gestes et elles n’en étaient pas avares.

Comme à l’aller, le retour à Colombo fut agitée mais déjà, je n’y prêtais plus trop d’attention, le pays commençait à m’apprivoiser.
Février 2001