mardi 15 juillet 2008

R : rivages


« Les rivages écrivent les voyages et descendent à la plage ramasser des coquillages. Ils égrènent les villages pour de joyeux cabotages ou de lointains amarrages. Ce paysage côtoie les nuages et, parfois les orages y forment des mirages, célestes messages ou précieux présages. Equipages accoudés au bastingage, prends garde aux rivages dont les parages évoquent de sanglants abordages, de tempétueux naufrages et de sournois piratages. »

Le flux et le reflux sculptent à chaque instant la géographie du rivage. Dans cet espace mouvant et flou qui hésite sans cesse entre terre et mer, naissent les rêves de voyage les plus fous. Combien d’éphémères navigateurs ont dessiné la carte imaginaire de leur outremer sur la grève avant que le flot engloutissant leurs songes ne les ramènent à de plus discrets périples.

Les rivages recueillent le secret des fonds marins que les vagues déposent sur les plages en minuscules éclats. Le promeneur expérimenté peut déchiffrer les fabuleux récits de modestes aventures dans ces débris éparpillés. Les enfants ravis par cette chasse aux trésors s’inventent d’audacieux pirates et de courageux capitaines qui peuplent leurs rêveries de combats acharnés pleins de fougue et de bravoure.

Les poètes aiment à suivre la ligne mouvante des rivages pour y cueillir quelques bouquets d’images, dans le scintillement des vagues, le dessin d’une algue, le cri d’une mouette, la marche alambiquée d’un crabe, la danse d’un nuage qui se glisseront ensuite, silencieusement, dans les stances d’une ballade. Et les vagabonds, les pieds dans le sable, cueillent les étoiles que les nuits de pleine lune font étinceler dans l’écharpe ondoyante de la voie lactée.

Au loin, les marins apercevant le rivage se prennent à songer à la douceur du foyer, aux promesses de la nuit, aux rires des enfants et les mains s’activent plus fébrilement autour des filets et des nasses.

Cette terre marginale, fluctuant au rythme des marées, convoque les mirages et les pêcheurs de rêves détectent savamment les indices célestes qui annoncent les plus beaux. Les conformistes choisissent l’heure du coucher de soleil tandis que d’autres, en véritables experts, patientent jusqu’à l’instant solaire privilégié, lorsque les camaïeux de gris ou de bleus dévoilent toute la richesse de leur palette à l’univers océan.

mercredi 9 juillet 2008

"Le Voyage" Sergio Pitol

Sergio Pitol, considéré comme l’un des plus grands écrivains mexicains, est né à Puebla, au Mexique, en 1933. Pendant de nombreuses années sa fonction de conseiller culturel dans les ambassades mexicaines l’a conduite à vivre à Paris, Varsovie, Budapest, Prague, Moscou. « Le voyage » est un récit autobiographique que l’auteur rédige au cours d’un voyage qui part de Prague où il est en poste pour aboutir en Géorgie où il est invité par l’union des écrivains du pays.

« Au début de 1986, quatre ans après mon arrivée à Prague, j’eus la surprise de recevoir de l’Union des écrivains de Géorgie une invitation à visiter cette république au mois de mai. La Géorgie venait de gagner tout à coup une certaine célébrité à cause du ton subversif de son cinéma, et on l’a considéré comme l’une des places fortes de la perestroïka, terme qui désignait la transformation lancée par Mikhaïl Gorbatchev en URSS. »

Prague – Tbilissi, pas si simple à l’heure de la glasnost, l’auteur va devoir se rendre à Moscou avant d’être conduit à Leningrad et désespérer de pouvoir parvenir en Géorgie.

« Quelques jours plus tard, le secrétariat aux affaires étrangères m’informait que le ministère de la Culture de l’URSS me transmettait une invitation à me rendre à Moscou du 20 au 30 mai de cette année. (…) Je compris tout de suite que c’était une parade à la lettre de Géorgie, pour que tout le monde sût que c’était toujours la métropole qui décidait de l’envoi des invitations, et que le reste n’était toujours qu’une vaste périphérie incertaine. »

Sergio Pitol excelle a décrire les changements de la Perestroïka à travers ses mésaventures avec l’administration soviétique et les divers détournements sous des prétextes culturels qui l’empêchent de se rendre à Tbilissi. Il mêle ses rêves, ses petits ennuis, ses observations, à des commentaires éclairés sur la littérature, la peinture, l’architecture.

"A Moscou, près du centre. La ville m'impose ses conception urbanistique, son aspect spectaculaire et sa puissance. «Moscou est la troisième Rome et il n'y en aura pas une quatrième», dit un slogan slavophile du XVIème siècle, qui depuis gouverne l'inconscient russe. Quelle merveille que parcourir la rue Gorki en voiture ! À peine arrivé, on sent déjà le changement. On discute du nouveau moment politique, des nouvelles pièces de théâtre, du nouveau cinéma et des nouveaux problèmes que tout le monde doit affronter : le nouveau, le nouveau, le nouveau contre le vieux semble présider au moment actuel. Un peu avant l'atterrissage, Mme A. m'a exprimé la répulsion que lui causent les changement qui affectent le cinéma soviétique. «L'irresponsabilité peut mener au désastre, dit-elle, et ces gens-là ne sont pas prêts pour des changements de ce genre; il faudra qu'ils se forment d'abord, sinon ils vont provoquer des bouleversements. Les Géorgiens sont les pires, les moins fiables. Ils ont fait un virage à cent quatre-vingts degrés, ce qui revient à tourner le dos à leur riche culture traditionnelle; ils la maudiraient, s'ils pouvaient, il l'effaceraient. Leur critique sociale est trop stridente, ridicule, grossière. Il ne va sortir rien de bon de tout cela, vous verrez.»
Je reçus ces marques d'exaspération avec un bonheur absolu."

En fin lettré, il rend hommage aux auteurs, hommes de théâtre, de cinéma : Pouchkine, Gogol, Meyerhold, Boulgakov, Eisenstein, … la poétesse Marina Tsvetaieva semble le fasciner. Il consacre deux chapitres au destin tragique de cette femme hors norme. Erudit inspiré, il conserve un regard critique et amusé sur l’actualité politique et sociale de la Glasnost.

Les passages « géorgiens » réjouissent par l'appétit de vie et la générosité qui émanent des ambiances, des rencontres, des conversations relatées mais Sergio Pitol n'hésite pas à relever quelques travers et se moque de l’importance que les géorgiens accordent à la pureté de la race.

« Et quand ils se vantaient de la pureté de leur sang, je faisais des éloges démesurés du métissage, je leur rappelais que Pouchkine était un mulâtre… »

La lecture de ce carnet de voyage est passionnant, drôle et savant, il offre une belle chronique de cette période de l’histoire russe. Plus qu’un voyage au sens géographique il s’agit d’une exploration géopolitique passionnante et documentée.

Quatrième de couverture

En mai 1986, en pleine perestroïka, un diplomate mexicain en poste à Prague est invité en Géorgie à titre d'écrivain. Or la glasnost s'embrouille et notre homme est promené à Moscou, à Leningrad; aussi le voyage se transforme-t-il en une galopade folle de scènes grotesques et de calamités joyeuses, pour se terminer à Tbilissi l'irrévérencieuse, ivre de ce printemps politique. Sous la plume d'un merveilleux érudit excentrique et rêveur, ce voyage est aussi une traversée de siècles d'art et de culture, et de toute la forêt sacrée de la littérature russe, de Pouchkine à Gogol à Marina Tsvetaïeva. Sergio Pitol, Prix Juan-Rulfo, vit au Mexique.

Le Voyage
Sergio Pitol
Traduit du mexicain par Marie Flouriot
Les Allusifs