mardi 5 mai 2009

Colombo côté cour

Sur la route à peine en état et toujours débordée de véhicules énervés et bruyants qui mène de Bandaranaike International Airport à la capitale, sont dressés des échoppes en tôle et des assortiments de bâtiments que le hasard a plus ou moins aligné sans autre souci apparent que de remplir des espaces laissés vacants. Et, de-ci de-là, quelques bienveillantes divinités hindouistes et bouddhistes qui protègent leurs occupants, se côtoient en toute simplicité.

Aéroport – centre ville, une quarantaine de kilomètres. A proximité des zones de fret, apparaissent les usines textiles, bâtiments aux formes fonctionnelles et sans âme qui se succèdent, à peine entrecoupés par de petits terrains plantés de quelques arbres qui se demandent bien ce qu’ils font là. Il était tôt, les jeunes filles, jupes longues, chevelure balayant les reins, domptée par une attache ou libre comme l’air, avançaient, par deux ou trois, un mètre ou deux entre chaque groupe. Chapelet d’ouvrières se rendant au labeur en procession. Tailler, couper, assembler, coudre, poser les boutons, …les opératrices sur machine à coudre dans la chaleur des ateliers œuvrent 8 heures par jour minimum auxquelles s’ajoutent souvent deux ou trois heures supplémentaires pour un salaire de 500 francs par mois. En bout de chaîne vestes, pantalons, jupes, tee shirts,… des milliers de pièces expédiés au loin. Gap, Calvin Klein, Lewis, … les marques que la mondialisation a déversées sur une grande partie du monde. Une usine moyenne emploie 300 à 400 personnes, en grande majorité des femmes. C’étaient elles, qui ce matin-là, offraient aux voyageurs débarquant sur l’île, une impression de légèreté qui s’estompait au fur et à mesur que nous approchions du centre de la capitale.

En ville, Odell, magasin classieux fondé par une cinghalaise, vendait le surplus de ces productions à prix intéressants pour les européens. Et, dans un bâtiment rose bonbon, un « Tati » local proposait des vêtements de marque dégriffés dont les prix ne dépassent jamais 500 roupies (50 francs). Le sari et le sarong dont les couleurs enchantent la rue, croisent les tenues occidentales tellement plus neutres et insipides. A Colombo, le vêtement signe le niveau social et l’obligation professionnelle plus qu’une adhésion à un mode de vie ou une affirmation identitaire.

Rajiv, heureux propriétaire d’un tuk tuk rouge, portait pendant la journée, un pantalon sombre avec plis bien marqués, mais laissé à lui-même, le soir, le sarong avait sa préférence. Fier de sa monture d’acier, il l’entretenait avec un soin quasi maniaque. Nous nous étions mis d’accord: « Rajiv, s’il vous plait, emmenez-moi, voir les curiosités de Colombo mais, assez vite et juste les plus importantes. » Le statut de visiteur étranger comporte des obligations, celle, entre autre de visiter les lieux identifiés comme incontournables. Imaginez un américain débarquant à Paris et n’allant pas voir la Tour Effel ou un européen à Moscou qui ne passerait pas par la Place rouge. De quoi auraient-ils l’air en rentrant chez eux, ils seraient moqués pire encore, considérés comme des menteurs. Qui voudrait croire à une telle gaffe touristique, une pareille omission ?

Le véhicule rutilant filait dans les rues de la capitale en direction de la gare de Colombo Fort. La densité de la circulation en ce lieu atteignait des sommets. Les voyageurs qui débarquaient ou embarquaient ajoutaient au chaos ambiant fait de bruit et de poussière. Face à la gare, de l’autre côté de la chaussée par un pont que seuls les piétons pouvaient emprunter, un quartier métissé, grouillant de monde, patchwork de petites boutiques, de restaurants populaires, de bureaux : le lacis de ruelles de Pettah, le plus vieux quartier de la ville où se nichait un bazar. Rajiv conduisait rapidement avec dextérité et de temps à autre pointait son bras vers un bâtiment faisant un commentaire. Je tendais l’oreille saisissait un mot sur deux ou trois et m’en contentais.
Dans le quartier du fort, la période hollandaise avait bien du mal à se maintenir même à l’état de vestiges. Les deux tours de 34 étages du World trade center et quelques autres, toutes de verre et de métal, dominaient désormais la tour de l’horloge ayant résisté à la modernité et aux aléas de l’Histoire. Au croisement de Chatham Street et de Janadhipathi Mawatha elle était devenue un monument historique et s’en contentait, elle qui autrefois, en plus de marquer le temps, brillait dans la nuit pour indiquer la route aux navires. Rajiv fit la première halte devant l’élégante façade du Grand Oriental Hotel. Dans ce fleuron emblématique de la colonisation britannique, Anton Tchekov séjourna en 1890, une plaque apposée dans le hall l’attestait. Colombo était alors une élégante et dynamique cité asiatique, escale obligée entre l’Europe et l’Extrême Orient. La ville se développait. autour du port et l’Oriental hôtel vantait sa situation "à un jet de pierre du débarcadère » Au dernier étage, la vue panoramique ouvrait sur le port. Les grues tendaient leurs bras sur les docks sans aucune cohérence. Quelques cargos et un pétrolier patientaient paisiblement dans les eaux troubles. Un soupçon de délabrement saupoudrait l’ensemble. La course folle en tuk tuk reprit de plus belle.

Rajiv pratiquait le bouddhisme au temple Gangaramaya, ce fut notre seconde halte. L’éléphant enchainé bandait et se dandinait misérablement, il me faisait de la peine. Dans la grande salle, bouddha dominait les fidèles du haut de ses cinq mètres entouré de bouddhéités colorés dans un état d’intense béatitude. Dans la cour, quelques femmes arrosaient l’arbre qui aurait vu naître le boddhisattva. Les petites lanternes répandaient une odeur douçâtre d’huile de coco en se consumant. Rajiv accomplit ses dévotions et notre périple prit fin devant la maison de mes hôtes.

Ils logeaient dans une luxueuse demeure du Cinnamon gardens, quartier résidentiel tirant son nom de l’épice qui fit une partie de la renommée de Ceylan. D’anciennes résidences coloniales abritaient les ambassades. Les check point y étaient nombreux, Les militaires semblaient s’y ennuyer ferme. Certaines rues étaient barrées. Le conflit avec les tamouls s’était apaisé mais sans être réglé et la capitale restait sous surveillance. Ce lieu privilégié respirait le calme et le luxe. Il y avait comme une invisible frontière entre ce quartier protégé de tout, et le reste de la ville, la franchir vous plongeait aussitôt dans un tourbillon animé, frénétique et bruyant comme si le rideau d’une pièce de théâtre se levait soudain sur une gigantesque fresque.
Des mille façons de parcourir la ville pour en établir une géographie personnelle, j’avais opté pour le hasard, le petit bonheur la chance. Se faire les semelles sur les trottoirs de Colombo, permettait de saisir de petites parcelles de vie et de mieux sentir les ambiances contrastées que chaque quartier distillait.

Au cours de mes déambulations je glanais mille et une scènes qui enrichissaient le récit de la ville :
- L’homme se rasait à même le trottoir, le miroir accroché à un arbre.
- Sur la chaussée, des corneilles disputaient aux chiens et aux chats faméliques quelques résidus informes.
- Les militaires, mitraillettes au poing, surveillaient d’un œil distrait la circulation sur Galle road, veillant sur la sécurité des habitants, la menace d’attentats perpétrés par les tamouls planait toujours.
- Le marché étalait avec abondance fruits et légumes, les épiciers chinois supervisaient le rangement des marchandises en rayon.
- Les vendeurs et leurs échoppes ambulantes égayaient les chaussées de vives couleurs : fabrication de clefs, réparation des moteurs, vente d’enjoliveurs, de fruits, de billets de loterie, de casseroles, de bassines en plastique,…..
- Un homme portant un sarong déchiré dormait à même le sol.
- Les bus étaient pris d’assaut par des foules pressantes sur Galle road.
- Un buffle tirait un chariot sur lequel était juché un homme portant chapeau.
- Sur Galle road encore, the Barefoot workshop, offrait une halte apaisante .
- A l’affiche du cinéma le film américain « Qui veut sauver le soldat Ryan ? »
- Pour quelques roupies, des magasins spécialisés proposaient toute sorte de logiciels piratés, de jeux, d’images…
- Un moine choisissait avec soin un billet de loterie vendu par une jolie cinghalaise.
- Le « Mac Donald » faisait vraiment déplacé avec sa façade en verre si propre dans laquelle se reflétait la vétusté ambiante.
- Sur Paradise road, une boutique assez chic vendait des couverts en coco à manche coloré.
- Dans un petit café, le jus d’ananas fraichement pressé se laissait apprécier.
- Sur un bras du lac, un pêcheur ayant lancé sa senne ne ramenait que sacs plastiques, papiers, bouteilles. - Dans le quartier de Kollupitiya, proche du lac Beira , l’université s’agrémentait de grands parcs pour de paisibles balades.
- Le mur du ministère de l’industrie s’ornait d’un mural vantant les vertus du travail.
- Une mère de famille négociait auprès d’un vendeur, un morceau de poisson pour le déjeuner.
- Les chiens galeux et les chats squelettiques s’approchaient craintivement d’un homme qui raclait une assiette dans le fol espoir de récupérer quelques miettes qui pouvaient en tomber.
- Un mécanicien amateur tentait de réparer pour la vingtième fois la pièce défaillante du moteur d’un bateau avec un fil de fer.
- Le coiffeur dans le fond de son minuscule salon agitait ses ciseaux dans la chevelure d’un homme béat.
- Perahera mawatta longe le Beira lake qui se déploie en plusieurs quartiers de la ville. Dans un petit champ séchaient en permanence des dizaines de draps, de serviettes sur des ficelles tendues entre des piquets de bois. Ce décor, ondulant doucement au vent dissimulait un lavoir, grand bassin en pierre sous la halle en bois autour duquel hommes et femmes savonnaient, frottaient et rinçaient le linge posé en pile à leur côté. Rires et gouttes d’eau mêlés s’évaporaient vite au soleil.
- Sur la plage, un corbeau lâchait le morceau de plastique rose qu’il avait saisit dans son bec tandis qu’un de ses collègues s’acharnait sur une tête de poisson séché. Le coucher du soleil était modeste ce soir-là, bâclant sa prestation comme pressé d’en finir, il se précipitait à vive allure dans l’océan indien, pas de quoi pavoiser. A la nuit, les barrages gardés par des militaires qu’il ne fallait pas taquiner, fermaient certains axes de la capitale. La circulation s’apaisait et la ville tentait pendant quelques heures de se remettre des désordres du jour.
Février 2001

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