jeudi 9 juillet 2009

Cargo : le choix du voyage

L’engouement pour les voyages en cargo démarrait à peine, vestige d’aventures au long cours où d’intrépides voyageurs demandaient à embarquer pour de lointaines destinations en échange de menus travaux ou bien d’une somme dérisoire pour peu qu’ils acceptent de dormir calés entre les marchandises transportées et donnent un coup de main à quelques manœuvres simples. Ainsi pouvaient-ils se rendre au gré de leurs envies en d’improbables destinations qui les faisaient rêver.

Aujourd’hui, la taille des bâtiments a considérablement augmenté, les équipages, réduits au minimum pour des raisons de coûts mais aussi parce que l’avancée technologique a bouleversé la marine marchande et rendu certains postes superflus, quelques cabines désertées sont désormais réservées à des passagers officiels qui achètent un billet en bonne et due forme et se voient en échange offrir le gîte, le couvert et le sourire du capitaine pour une traversée confortable pouvant néanmoins être modifiée à tout instant pour peu qu’un chargement de marchandises s’annonce dans un port près duquel le porte-container fait route.

Plus question, non plus d’espérer flâner plusieurs jours lors d’une escale qui dure rarement plus de douze heures. Si le cargo accoste en pleine nuit, il arrive qu’il ne soit pas possible de descendre à terre. Ainsi, ai-je ressenti la frustration de ma vie à Alexandrie où le Woclawek,porte container polonais devait décharger et embarquer du fret. Je me faisais une fête de parcourir cette ville, même quelques heures seulement, tant l’œuvre majeure de Lawrence Durrel « Le quatuor d’Alexandrie » avait, pendant des années, nourri mon imaginaire et qu’il m’a été interdit de m’y rendre. Comme je tentais de ruser, les militaires agressifs ont menacé de me conduire au poste mais bien trop en colère pour conserver mon calme, je n’en démordais pas tant et si bien que Jerzy, l’officier en second pressentant que l’affaire risquait de dégénérer est venu me chercher. Quelques jours plus tard, il m’offrait un cendrier qu’une Néfertiti tenait dans les mains et dans lequel étaient gravées les pyramides, accompagné d’un petit mot.

Après avoir étudié les trajets proposés par les différentes compagnies internationales et le coût du voyage, la Polish Ocean Line a fait souffler le vent du large sur mon désir de mer. Joindre le représentant de cette compagnie n’était pas une mince affaire, Internet n’avait pas encore modifié le monde. Pendant plusieurs jours personne n’a répondu ni à mes appels téléphoniques, ni à mes fax. Puis une voix m’a donné rendez-vous rue Richepance près de la Madeleine. Au jour et à l’heure dîtes, personne n’a ouvert la porte sur laquelle je frappais de plus en plus fort. Impatiente et décidée, j’ai fait le siège assise dans l’escalier, le roman de Joseph Conrad « Emmène-moi au bout du monde » à la main. Une jeune fille s’est enfin arrêtée devant moi en bredouillant, elle s’est excusée et a justifié son retard par un statut d’étudiante et des examens à passer. Quelques minutes plus tard, mon voyage à pris la forme d’une facture en dollars rédigée à la main.
Moments extatiques des préparatifs, montée du désir d’ailleurs, rêveries au long cours et demandes de visas aux ambassades. Bagages : les affaires étalées sur le lit, livres, crayons, carnets, appareil photo, baladeurs cassettes et vêtements, Je ne voulais pas me rater, manquer de pellicules ou de lecture. Pour tout faire entrer dans le sac à dos, il a fallu, éliminer un peu, les vêtements en ont fait les frais. …
Et c’est depuis la Gare du Nord que je me lançais enfin vers le grand large.

Octobre 1995

Aucun commentaire: