jeudi 6 novembre 2008

Petit tour au commissariat de quartier

Le commissariat se trouvait au rez-de-chaussée d’un immeuble en brique au fond d’une cour arborée placée sous le regard acéré d’un Lénine fraichement repeint. Il nous avait fallu patienter sur un banc, attendant l’ouverture des bureaux. 16 heures, indiquait la pancarte sur la porte. Le commissariat s’avérait être un « point de maintien de l’ordre public ». Un ordre avec lequel il ne fallait pas trop prendre de liberté ou alors intelligemment ou alors en payant. L’œil de Moscou était moins regardant qu’auparavant mais il restait vigilant. Poutine venait de prendre place sur le trône du pays. Les grosses cylindrées, japonaises, américaines, européennes, garées le long du trottoir, remplaçaient les Jigouli qui n'avaient plus vraiment la cote. La Russie subissait une mue radicale.

Le commissaire était chargé de gérer les plaintes et de suivre les affaires du quartier. L’éclairage blafard de néons souffreteux donnait au local un air sinistre qu’illustraient un mobilier gris et des cloisons en contreplaqué marron. Dans le couloir qui distribuait trois bureaux, s’affichait sur des vignettes, la flamboyante histoire de la police, soulignant ses hauts faits, images d’Epinal qui valaient le coup d’œil. Le drapeau, faucille et marteau sur fond rouge, rappelait la solennité et le sérieux du lieu, et comme dans tous les espaces marqués par la masculinité, quelques pin up bien roulées égayaient les armoires métalliques tristes à pleurer. Devant le panneau d’interdiction de fumer, un fonctionnaire allumait une cigarette derrière l’autre et l’ordre public n’avait qu’à bien se tenir.

L’affaire qui nous conduisait là, relevait parfaitement de ses fonctions. Le propriétaire de l’amie qui me recevait à Moscou était venu faire un esclandre, ce n’était pas la première fois et comme toujours en Russie, l’affaire avait pris des allures de tragédie grecque. La scène s’était déroulée un samedi. Kostia G qui venait récupérer son loyer, avait d’emblée entamer les hostilités. Il était question d’étagères déplacées, de réfrigérateur à dégivrer, de juifs qui avaient cassé le canapé et de françaises qui étaient aussi problématiques que les russes. Konstantin était un petit homme insipide, portant des vêtements usés jusqu’à la corde et une veste étriquée. Ses cheveux gris partaient dans tous les sens comme s’ils avaient voulu s’enfuir du crane sur lequel ils étaient plantés. Konstantin s’agitait beaucoup, sautillait un peu, gesticulait abondamment, passait d’une pièce à l’autre rapidement, je l’aurai bien pris en photo si je n’avais pas craint de faire monter la tension d’un cran. Je ne parle ni ne comprend le russe, j’assistais à la scène en spectatrice intriguée. Tout ce qui se disait était traduit par Laure, la locataire du lieu qui à cette occasion me donnait à croire qu’elle maîtrisait parfaitement la langue ce qu’elle démentait formellement.

Laure, était venue à Moscou passer une année sabbatique. Elle avait trouvé cet appartement à deux pas de la station de métro Bieloruskaïa par l’intermédiaire d’une agence immobilière. Konstantin G, le propriétaire lui avait paru d’emblée un peu étrange sans qu’elle puisse déterminer si cette impression était valide ou si elle résultait d’une erreur d’interprétation provoquée par la différence culturelle. Cet ancien électricien âgé de 55 ans, divorcé, vivait seul. Il recevait une pension d’Etat de 250 francs chaque mois et louait son appartement 350 dollars. Lui, s’en allait vivre en périphérie de la ville dans un petit logement qu’il payait 110 dollars. La différence lui permettait de subvenir à ses besoins. Tout aurait été parfait pour les deux parties s’il n’avait pas été légèrement dérangé, enclin à soupçonner ses locataires des pires vilénies comme d’être juifs, de ne pas croire en Dieu, de fumer, de ne pas s’occuper de ses fleurs, de déplacer ses livres… Il pouvait téléphoner tous les soirs pour prendre des nouvelles des fleurs.

La scène dura un temps certain, Kostia voulait que nous quittions l’appartement sur le champ mais se calma un peu lorsque Laure lui réclama l’argent de la caution. Enfin, il finit par quitter les lieux laissant l’argent du loyer et un sac de vieilles nippes. Laure souhaitait porter l’affaire au commissariat afin de laisser une trace de l’incident au cas où l’irascible propriétaire deviendrait menaçant et surtout violent. C’était la seconde fois qu’elle se rendait dans ce commissariat. Elle avait été conviée à s’y présenter, quelques semaines auparavant, pour répondre aux questions du commissaire qui menait une enquête suite à une plainte posée par Kostia contre ses précédents locataires qu’il accusait d’avoir tout cassé. Konstantin G. était déjà connu des fonctionnaires de l’ordre public pour son côté un peu détraqué, excessif et un tantinet paranoïaque. Le commissaire, Alexandre K, était bel homme, il écouta avec un intérêt poli le récit que lui fit Laure, lui conseilla une nouvelle fois de déménager et lui indiqua le numéro du commissariat central ouvert 24 heures sur 24 qui, assurait-il, pourrait intervenir très vite si nécessaire.

Je me laissais porter par la musicalité de la langue d’où s’échappait parfois un mot qui résonnait familièrement à mon oreille, et mon imagination au fil des sonorités construisait une histoire parallèle sans aucun rapport avec la réalité, largement inspiré des romans d’espionnage de John Le Carré. La police russe portait une telle charge historique que je me suis étonnée et je dirai même que j’étais un peu déçue de ce qu’aucun commis de l’Etat n’ait même demandé à vérifier mes papiers. Nous sommes ressorties. Il faisait beau. A la terrasse d’un petit café, quelques consommateurs buvaient tranquillement leur bière. Moscou affectait un air serein, quasi estival. Et, même Lénine semblait afficher un petit sourire en coin.

juin 2000

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